La Vie Immédiate

La Vie Immédiate

Portbou

 

 

 

Il faisait chaud, bouillant, humide et je savais que ça allait être une journée très longue. Pourtant, assise dans ce compartiment, j'avais froid. Nous étions six à être serrés comme des sardines dans ce train qui allait nous amener à Portbou. L'arrivée était prévue pour 5 heures du matin. J'avais froid, très froid en regardant le couple assis en face. Le froid émanait d'eux.

 

Je m'enfonçais plus profondément dans mon siège et imaginais le début de leur histoire. Ce début de relation dans sa chaleur torride, avec des mots apprêtés des plus belles couleurs, des mots d'amour, des mots doux. Des gestes tendres et une compréhension l'un de l'autre qui semblait venir d'outre tombe tellement elle était extraordinaire, irréelle. J'imaginais leurs projets d'avenir. Leurs yeux plein de confiance en la vie, en leur amour. L'Amour. Je parie qu'ils se sont jurés l'amour éternel, high fidelity et toutes ces choses que nous promettons stupidement, uniquement parce que notre sang est en ébullition et excitation passagères. Cette fiction me donne encore plus froid au dos. La vie de couple ? C'est la mise à mort annoncée de l'Amour. C'est d'être enchaîné à l'Autre. Ne plus jamais pouvoir goûter à un autre corps, l'explorer, sans passer du mauvais côté de l'enceinte. Passer du côté des traîtres.

 

La haine est aussi froide que la mort. Regardez-les aujourd'hui ! Combien de temps après ? 1 année, 10 ans… ? Pas plus ! Ils sont encore assez jeunes. Dans leur regard où l'autre a perdu sa place pour toujours, s'étalent tous les regrets de ce monde. Ils ne s'adressent plus la parole. Lorsque leurs regards se croisent par inadvertance, c'est l'affrontement muet. Glaciale l'ambiance.

Il faisait chaud, bouillant, humide et je savais que cette journée sera éternelle.

 

Et puis lui ! Lui là, juste à côté. Son souffle chaud se répand sur moi malgré l'épaule froide que je lui présente. Je me tortille sur mon siège afin d'échapper à ses bouffées concupiscentes. Son regard lubrique qui court sur mes jambes, remonte jusqu'à l'entrejambe, plus haut encore s'accroche longuement à l'échancrure de mon T-shirt. Son regard moite et abruti brûle comme glace sur peau nue. Calcinant. J'aurais dû mettre un pantalon, un col roulé. Il faut le faire quand même ! Qu'est-ce que je peux être conne parfois ! Ses efforts stupides de rapprochement qu'il croit imperceptibles. J'essaie de rester impassible, m'assieds sur ma main afin qu'elle ne parte pas toute seule dans sa figure. Il n'est pas laid ! Non, juste imbu de lui. C'est moi qui choisis aujourd'hui et lui, il ne m'intéresse pas.

 

J'ai froid dans ce cercueil roulant. Portbou semble de l'autre côté du monde. Mais je savais ce qui m'attendait, ce qui allait arriver d'ici quelques heures. Je savais qu'à 5 heures du matin, ce train s'arrêtera en gare. Que tout le monde en sortirait. Et puis enfin mon regard pourra se lever sur les montagnes roses pour voir le soleil surgir du néant. Il n'y aura rien d'autre à faire que d'attendre l'ouverture des portes de la buvette. J'irai boire un café gris noir bien chaud, servi dans une tasse blanche très épaisse. J'aime l'arrivée à Portbou. Mon Far West à moi. Je prendrai le prochain train pour repartir et je choisirai un compartiment où les passagers seront serrés comme des sardines. Il fera chaud, bouillant, humide et je sais que ce sera une journée très longue. Et je sais aussi que moi j'aurai froid.

 

 

 

 

 



11/05/2008
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